Mort d’un commis épicier
1er Prix André Martineau de la nouvelle policière 20141
par Mireille Lafitte

J’ai toujours été fasciné par les faits divers tragiques.
Je me souviens que, quand j’étais petit, je lisais les gros titres de la une de Détective, que ma mère achetait : les gros titres seulement, car je n’avais pas le temps d’en savoir plus, vu qu’on m’arrachait vite fait le magazine des mains. Sur la couverture s’étalaient les photos des « monstres » célèbres d’alors, Gaston Dominici, Marie Besnard, le curé d’Uruffe ; et des titres impressionnants nourrissaient mes cauchemars les plus doux : « Le monstre de Lurs », « L’empoisonneuse de Loudun », « J’étais le fils d’un assassin, par Clovis Dominici », « L’énigme de la malle tragique », « Il a peur de sa victime »… Ah ! il y avait de quoi faire bouillonner l’imagination du gamin en culottes courtes que j’étais !
    Rien que pour être confronté à de telles « affaires », j’aurais voulu être policier, mais j’échouai plusieurs fois au concours d’entrée à l’école de police et, après avoir voyagé ici ou là, travaillé à droite et à gauche et mangé de la vache enragée pendant plusieurs années, grâce à la recommandation d’un ami journaliste, je me retrouvai pigiste à l’agence régionale de Pau du journal Sud-Ouest.
Oh ! mon travail n’était pas épuisant –– on me réservait gentiment les chiens écrasés et autres événements sensationnels ––, ce qui fait que j’avais beaucoup de temps à consacrer aux flâneries dans le parc Beaumont, ou le long du boulevard des Pyrénées où, immanquablement, malgré ma coupable ignorance en littérature, me revenait  cette citation de Lamartine (je crois), qui servait presque de slogan publicitaire à la ville, et que notre vieux professeur d’histoire du lycée transmettait à ses élèves de génération en génération : « Pau est la plus belle vue de terre, comme Naples est la plus belle vue de mer. »
Un jour que nous prenions un verre à la brasserie des Halles, en parlant de l’affreux double assassinat de hôpital psychiatrique de Pau, qui avait secoué la ville quelques jours plus tôt, et la maintenait encore sous le choc, l’ami qui m’avait recommandé au journal me demanda à brûle-pourpoint :
« Tu ne m’as pas dit que tu avais vécu à Saint-Germain ?
– Non, je n’y ai pas vécu, j’y allais en vacances, chez mes grands-parents maternels, avec mon frère et ma sœur. Pourquoi tu me demandes ça ?
– Je ne sais pas, par association d’idées, sans doute : tu m’as dit que tu t’intéressais à ce genre d’histoires, alors… Tu as entendu parler de ce crime dans les années cinquante, à Saint-Germain, justement ?
– Oui, vaguement, mais j’étais tout gamin, à l’époque. Et je t’avoue que j’ai oublié…
– Moins épouvantable que ce qui vient de se passer à l’hôpital, même si on ne peut pas comparer des crimes. Mais c’est une histoire pas banale, qui risque t’intéresser. Tu devrais consulter les archives du journal. 
L’affaire a eu lieu en 1954. J’avais neuf ans. 
C’était l’époque des grands chroniqueurs judiciaires comme l’incomparable Frédéric Pottecher qui, tous les soirs, à la Radiodiffusion française, relatait ce qui s’était passé au tribunal et savait nous tenir en haleine pendant les quatre ou cinq minutes qui lui étaient imparties. 
    Mais le « crime de Saint-Germain » (je ne sais d’ailleurs pas pourquoi on l’avait appelé ainsi parce qu’en réalité, ce n’est pas là qu’il avait été commis, mais à Orthez !) n’avait pas fait la Une des journaux parisiens, qui avaient mieux à se mettre sous la dent : le procès de Gaston Dominici touchait à sa fin, le deuxième procès de Marie Besnard venait de se terminer, cette « affaire » de Saint-Germain était bien banale, à côté ! Mais je trouvai dans les archives de mon journal de quoi alimenter ma curiosité, sinon rafraîchir ma mémoire. 

Le vendredi vingt-deux octobre 1954, à sept heures du matin, on avait découvert, dans un fossé du chemin de terre menant au domicile de ses parents, le corps de Prosper Guichet, âgé de dix-neuf ans, commis épicier à Orthez, tué à bout portant d’une balle dans la tête à cent mètres de chez lui. L’arme était un fusil de chasse, que l’on n’avait pas retrouvé. Il rentrait de son entraînement de rugby, son sac de sport était posé à côté de lui. Pendant trois semaines, la gendarmerie d’Orthez avait enquêté … en vain. 
Personne n’avait compris cette mort. Le suicide avait été exclu tout de suite, d’abord parce que le jeune Prosper n’avait pas de fusil (de toute façon, on n’avait pas retrouvé d’arme près de lui), ensuite, parce qu’il n’avait aucune raison de mettre fin à ses jours. En effet, tous ceux qui le connaissaient, depuis ses copains de l’USO jusqu’à son employeur, un épicier du boulevard des Pommes à Orthez, avaient tous dit que c’était un jeune homme sans histoires, qui vivait chez ses parents et partageait son temps entre son travail, ses entraînements du jeudi et ses matchs du dimanche. Une enquête auprès de ses parents, de son frère et de sa sœur, de ses voisins (les plus proches étaient à cinq cents mètres), de ses amis, de son patron, des clients de l’épicerie et de ceux chez qui il effectuait des livraisons, avait confirmé l’image d’un gentil garçon, serviable et plein de vie. Les derniers à l’avoir vu en vie étaient ses coéquipiers : ils avaient affirmé qu’il les avait quittés après l’entraînement, vers vingt-deux heures trente, et qu’il s’était comporté comme d’habitude ; il n’habitait pas loin du stade et il était reparti à pied : tous devaient se retrouver pour le match du dimanche.
Son assassinat était resté une énigme pendant trois semaines.

Ce dimanche-là, un peu après Noël, je n’avais rien prévu, et l’envie me prit de revenir sur le lieu du crime, comme on dit. Plutôt, celui du criminel.

Le village de Saint-Germain a évidemment beaucoup changé depuis que je n’y ai plus mis les pieds. Des lotissements ont poussé ici où là, la buvette de Diaz n’existe plus, c’est maintenant une jolie maison d’habitation : le jour de la fête, le troisième dimanche de juillet, après la messe de dix heures, mon grand-père Henri nous y emmenait, mon frère, ma sœur et moi. Il commandait une Suze et trois limonades, nous regardions la partie de quilles de neuf, avant de regagner Cassian, où ma grand-mère Jeanne avait mis la table du dimanche.
La maison des grands-parents est toujours là, mais pas eux : ils reposent depuis plus de trente ans dans le petit cimetière à côté de l’église, en bordure de l’autoroute. Elle a toujours son grand toit béarnais en pente bien prononcée, mais elle ne s’appelle plus Les Chênes, elle n’a plus les mêmes couleurs, ocre pour le crépi et rouge pour les volets, le toit a été refait, et on a abattu le gros chêne qui menaçait de s’écrouler sur elle : c’est une maison moderne, avec velux et grandes baies vitrées. Ce n’est plus la maison de nos vacances à la campagne, elle n’est plus à nous.
Le maïs occupe tout l’espace autour du village : à l’époque de mon enfance, la maison était isolée au milieu d’une forêt, les premiers voisins de mes grands-parents se trouvaient à six cents mètres, au moins. C’était l’époque des premiers gisements du gaz de Lacq, et je me rappelle que tous les ans, au mois d’août, des pompiers venaient changer nos masques à gaz ; nous nous amusions dans la cour de la maison à jouer aux Martiens, mais mon grand-père, qui avait été militaire, qui avait fait la guerre de quatorze, et qui, lui, avait connu les gaz dans les tranchées, ne plaisantait pas avec ce genre d’objets, et nous interdisait d’y toucher sans raison.
La maison des Lagarde est toujours là, elle aussi, mais elle me paraît bien plus petite que dans mes souvenirs. Située à l’extérieur du bourg, c’était la plus belle : nous l’appelions le château, parce qu’elle avait un parc et un pigeonnier. Les Lagarde, un couple d’une quarantaine d’années, je crois, l’avaient achetée à un gros propriétaire de Pau ; lui, était assureur, elle, ne travaillait pas, ils n’avaient pas d’enfants. 
En avril 1955, Paul Lagarde avait été condamné à dix-huit ans de prison pour avoir assassiné, le vingt et un octobre précédent, Prosper Guichet, qu’il croyait l’amant de sa femme ; Margot Lagarde avait quitté Saint-Germain peu de temps après le procès ; la maison avait été vendue à un garagiste d’Orthez, et on ne les avait plus revus.  
La visite du village me prit peu de temps, et je n’étais pas d’humeur à sombrer dans la nostalgie.
J’avais plutôt envie de rendre une petite visite au brigadier Delpeyrat, l’un des enquêteurs de l’époque qui, je l’avais vérifié, vivait encore et résidait à la maison de retraite d’Orthez.
Le brigadier Delpeyrat avait pris sa retraite en 1985. Il était à la résidence depuis deux ans.
Quand je lui exposai les raisons de ma visite (je lui dis que j’écrivais des romans policiers à partir de vieux fait divers), il me reçut à bras ouverts et accepta sans façon de me parler du crime de Saint-Germain. 
C’était un très vieil homme, maintenant, mais il avait encore bon pied, bon œil et il se rappelait très bien cette affaire. 
C’était lui qui avait interrogé Margot Lagarde, ainsi que les autres clients de l’épicerie itinérante. C’était lui, également qui, plus tard, avait, le premier, interrogé Paul Lagarde.
« J’ai bien remarqué qu’elle n’avait pas l’air à l’aise, cette femme ; quand on lui a parlé de ce jeune, elle est devenue rouge comme une tomate, mais de là à dire qu’elle était pour quelque chose dans sa mort…
– Vous n’avez jamais soupçonné le mari ?
– Jamais ! Pour quel motif ? Non, ce crime a longtemps été un mystère. Jusqu’au moment où l’autre s’est présenté à la gendarmerie ! 
– L’autre ?
– L’agent de l’EDF. « Je ne sais pas si ça a un rapport », il a dit, « mais je sais peut-être quelque chose à propos de ce commis épicier qui s’est fait tuer. – Et c’est maintenant que vous venez le dire ? », je lui ai répondu (on était le neuf novembre, tout de même !). – Je ne pouvais pas avant : j’étais à la Martinique.  – À la Martinique ? – Oui. On est partis le lundi soir, avec ma femme, et vous pensez bien que là-bas, j’avais autre chose à faire que lire les journaux de la métropole ! Ce n’est qu’en rentrant hier que j’ai appris … – Bon, dites-moi ce que vous savez. – Le matin du dix-huit, je suis allé à Saint-Germain pour les relevés ; j’étais chez les Lagarde un peu avant onze heures, c’est la femme qui m’a ouvert, ou plutôt non, ça va vous paraître incroyable… » Et il m’a raconté qu’il avait trouvé Margot Lagarde toute nue dans le placard à balais : elle lui avait sorti en bafouillant qu’elle attendait le garçon épicier.
– Dans le placard à balais ?
– Il y a des tordus en matière de sexe ! Enfin, c’est ce qu’on s’est dit, au début, à la brigade.
– Le commis était son amant et le mari l’a tué par jalousie ?
– En tout cas, l’avocat a plaidé le crime passionnel.
– Mais comment le mari l’a-t-il su ?    
– C’est là qu’on se dit quand même que le hasard, ou le destin, comme on veut l’appeler, fait drôlement les choses ! Cette semaine-là, Paul Lagarde devait se rendre à Bordeaux pour un congrès qui devait durer jusqu’au jeudi. Le lundi soir, il a pris le train à Orthez. C’était l’époque des wagons à compartiments, l’époque où, pour fumer, on sortait dans le couloir : c’est là qu’il est tombé sur l’agent de l’EDF qui ne l’avait jamais vu, qui ne le connaissait donc pas, et qui lui en a « raconté une bien bonne sur une femme de Saint-Germain. » Au fur et à mesure qu’il donnait des détails, Paul Lagarde a tout de suite fait le rapprochement avec sa femme, persuadé qu’elle le trompait avec ce jeune homme. Vous imaginez la suite : il a eu trois jours pour mettre au point un plan. Il est rentré chez lui le jeudi soir et …
– Comment ?
– Il avait laissé sa voiture à la gare, le lundi soir.
– Mais le fusil aurait pu le trahir ?
– Pensez-vous ! À la campagne, tout le monde avait un fusil, et il le savait. »
C’était vrai, toutes les familles ou presque comptaient un chasseur dans leurs rangs. Je me rappelais que mon grand-père gardait toujours son fusil à portée de main quand nous mangions dehors, et qu’il lui arrivait de tirer sur une ou deux palombes égarées qui se posaient sur le grand chêne.
« Il n’a d’ailleurs pas cherché à nier, quand on est allé l’interroger, en novembre. Ni quand il a été confronté à l’agent de l’EDF. Il a même avoué tout de suite, sans qu’on le force, on aurait presque dit que ça le soulageait de parler.
– Et sa femme ? 
– Elle est tombée des nues et elle a raconté ce qui nous a paru une fable à dormir debout. Et sur le moment, personne ne l’a crue (lors de son premier interrogatoire, je vous l’ai dit, elle n’avait pas eu l’air très à l’aise quand on avait parlé du commis : on avait mis ça sur le compte de l’émotion, et ça pouvait se comprendre, entendre parler de quelqu’un qu’on connaît, qui est mort si jeune et dans des circonstances aussi affreuses … Mais après coup, on a compris pourquoi elle était rouge !) Elle n’en démordait pas : elle a persisté à dire que le jeune Prosper était passé un peu après onze heures, le lundi dix-huit, qu’elle l’avait payé en liquide (elle avait encore la note, qu’elle nous a montrée et qui a servi de pièce à conviction) et qu’il était reparti aussitôt, dans sa camionnette, comme d’habitude. Elle a nié jusqu’au bout toute relation sexuelle ou amoureuse avec lui.
– Et elle avait l’air sincère ?
– Ma foi, oui. Mais ça, ce n’était pas notre affaire, c’était celle du juge d’instruction : nous, nous n’avions aucune preuve de l’adultère, mais nous tenions le meurtrier, c’était ça, l’essentiel. 
– Tout de même, le mari a pris dix-huit ans : c’est beaucoup pour un crime passionnel, non ?
– En fait, mon gars, il n’y a pas eu crime passionnel : l’histoire de Margot Lagarde était complètement farfelue, et pourtant … c’est elle que son avocat a plaidée et que les jurés ont retenue… parce qu’elle était incontestablement vraie ! En recoupant les témoignages des autres clients de Prosper Guichet, à propos de son emploi du temps du lundi dix-huit, il a bien fallu se rendre à l’évidence : il ne pouvait pas être resté plus de deux minutes avec Margot Lagarde et, par conséquent, cette histoire d’amant qu’elle attendait dans son placard ne tenait pas la route.
– Le mari a donc tué pour rien ?
– Eh oui ! Et par orgueil de mâle. Vous pensez ! Sa femme à poil dans un placard et lui cocu, il n’a pas réfléchi plus que ça aux conséquences de son geste ! Il a pensé que personne ne penserait à lui, et que, vraisemblablement, le type de l’EDF ne ferait pas le rapprochement.
– C’était quand même risqué !
– Certes, mais mon métier m’a appris qu’on n’est pas toujours très logique dans ces cas-là. Après le témoignage de l’agent, on ne pouvait plus parler d’un crime passionnel accompli sous le coup de la colère, et le tribunal a conclu à la préméditation : Paul Lagarde a pris le maximum. 
– Mais comment a-t-il pu tomber sur le commis ?
– Vous savez ce que c’est dans les petites villes ! Il le connaissait, il savait qu’il jouait au rugby. Et il avait bien calculé son coup : les entraînements avaient lieu le jeudi soir, et ça aussi, il le savait. Son train à lui arrivait à Orthez à vingt et une heures vingt, il avait  largement le temps de revenir chez lui, de dire à sa femme qu’il prenait la clé de son agence pour faire un saut à son bureau et prendre des papiers, car il devait aller à Pau le lendemain à la première heure (en réalité, les papiers, il les avait déjà sur lui, mais ça, elle n’en savait rien), il est passé dans son garage prendre le fusil et il est reparti attendre le jeune au stade.
– C’est lui qui vous a raconté tout ça ?
– Exactement comme je vous le raconte ! Ensuite, ça semble bizarre, mais tout s’est enchaîné naturellement : il est resté un moment dans sa voiture, il a vu Prosper Guichet sortir du stade, il a démarré et il l’a attendu pas loin de chez lui : le jeune habitait un peu à l’extérieur d’Orthez sur la route de Pau, la maison était au bout d’un chemin de terre. Paul Lagarde s’est garé le long de la route pour qu’il n’y ait pas de traces de pneus : il avait pensé à tout, quand même, et à mon avis, c’est ça qui a aggravé son cas au tribunal ; et quand le jeune est passé, il est descendu de voiture, a pris son fusil sur le siège arrière et a tiré pratiquement à bout portant dans la nuque : la mort a été instantanée. 
– Et personne n’a rien vu, ni entendu ?
– Incroyable, mais vrai !  Il faut dire qu’à l’époque, le quartier n’était pas construit comme aujourd’hui, les premiers voisins étaient à cinq cents mètres.
– Et les parents ?
– Ils étaient couchés, dans leur premier sommeil, ils n’ont rien entendu.
– Et son frère, sa sœur ?
– Ils étaient plus âgés que lui, ils ne vivaient plus chez leurs parents. Non, je vous dis, l’assureur a eu toutes les veines. »

    Grâce au témoignage du brigadier Delpeyrat et aux comptes rendus des chroniqueurs judiciaires locaux qui avaient couvert l’événement en 1954 et 1955, que je trouvai dans les colonnes de mon journal, il me fut très facile de reconstituer les faits …

Tous les lundis matin, Prosper Guichet fait sa tournée à Saint-Germain : il passe chez les Lagarde à onze heures. Il sonne, Margot Lagarde lui ouvre la porte, il se rend dans la cuisine située au fond du couloir à droite, pose la marchandise sur la table, Margot Lagarde le paie et il repart ; si, pour une raison quelconque, elle a dû s’absenter, il sait qu’elle a laissé la porte ouverte, il entre, pose la marchandise et laisse la note sur la table.
Le dix-huit octobre 1954, un peu avant onze heures, justement, Margot Lagarde se rend dans sa salle de bain située à l’étage, elle fait couler de l’eau dans la baignoire, elle se déshabille et, soudain, elle réalise qu’elle n’a pas déverrouillé la porte d’entrée. Elle redescend l’escalier en vitesse, tourne la clé dans la serrure et … entend la sonnette. Elle ne peut plus reprendre l’escalier sans être vue nue par le garçon épicier ! Que faire ?
Inexplicablement, elle est prise de panique : quand il lui suffirait de dire « Une minute, s’il vous plaît ! », ou quelque chose de ce genre, elle prend une décision saugrenue. 
Car la première solution qui lui vient à l’esprit, solution qui, évidemment, va paraître tellement invraisemblable aux yeux des enquêteurs et de son mari, elle se précipite dans le placard à balais situé immédiatement à gauche de l’entrée, et s’y enferme, en se disant qu’il (évidemment, c’est au commis qu’elle pense !) n’en aura que pour quelques minutes et qu’elle sera sauvée. C’est cet excès de prudence qui va coûter la vie à ce pauvre Prosper.
Hélas ! Ce lundi-là, un peu avant onze heures du matin, ce n’est pas Prosper Guichet qui sonne, mais l’agent EDF qui vient relever les compteurs. Comme personne ne lui répond, il appuie machinalement sur la poignée : la porte est ouverte, il sait où se trouve le compteur, il a l’habitude, il ne va pas perdre de temps à appeler la propriétaire, il n’en a que pour une minute (du reste, ça lui est déjà arrivé de procéder de la sorte).
Il ouvre donc la porte du placard à balais (c’est là que se trouve le compteur) et se trouve nez à nez avec une Margot Lagarde nue comme un ver qui, affolée, ne peut que bafouiller : « Excusez-moi, mais j’attendais le commis épicier ! …»    

 
 



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